Anaïs Beauvais

11 septembre 1832 – 13 juin 1898

Anaïs Beauvais est le nom d’artiste de celle qui naît Modeste Amandine Pierrette Théolinde Lejault le 11 septembre 1832 à Flez-Cuzy dans la Nièvre. À tout juste 16 ans elle se marie le 30 septembre 1848 avec Louis-Michel Beauvais avocat et receveur de rentes. Celui-ci l’encourage à cultiver les arts. Elle suit successivement les cours du peintre allemand Lazarus Wihl, puis de Jean-Jacques Henner et Carolus-Duran.
Elle appartient à cette génération de femmes peintres qui se feront remarquer au Salon et dans la société parisienne de la Belle Époque à l’instar de Louise Abbéma ou de la célèbre Nélie Jacquemart, portraitiste de la mondanité. Elle entretient un cercle d’amis, musiciens, artistes, intellectuels qu’elle reçoit dans son salon du quai Voltaire ou à Chennevières.

Elle expose au Salon pour la première fois en 1867 une Vénus et l’Amour, sujet mythologique qui lui vaut une élogieuse et sensuelle critique de Marc de Montifaud dans la revue L’Artiste. « Les seins sont réalisés dans une abondance de pâte surglacée d’un ton d’or. La chevelure est d’un beau ton roux qui s’enlève vigoureusement sur les tempes d’une consonance brûlante. (...). C’est la chair ensoleillée. Ce n’est point l’exubérance de santé de Rubens mais la morbidesse italienne dans ses plus voluptueuses carnations ». Œuvre chaleureuse, présage d’une carrière prometteuse, la Vénus de 1867 (à ce jour non localisée) évoque aussi Le Pêcheur surpris par une sirène de 1869, conservé au musée de la faïencerie Frédéric Blandin de Nevers. Ces scènes mythologiques du début de sa carrière, qui témoignent d’une connaissance des grands maîtres et d’un attrait pour la Renaissance italienne, laissent cependant rapidement la place à l’art du portrait plus lucratif. L’ascension de la figure bourgeoise et de celle de l’intellectuel dans la société parisienne fait du portrait l’un des genres les plus prisés du temps. Chacun souhaite posséder le sien.

Anaïs Beauvais expose en 1869 au Salon un portrait de femme qui témoigne d’une « dextérité de main à la fois énergique et légère imprimant chaque touche avec une profondeur intense » (L’Artiste, Salon de 1869). Elle emprunte progressivement à Carolus-Duran le fond sombre, le contraste entre l’ébène et le blafard que le maître reprenait à Velasquez. Le grand artiste espagnol constituait en effet un modèle absolu pour les portraitistes de l’époque, notamment pour Edouard Manet et Carolus-Duran.

Au salon suivant, en 1870, duquel on dit que « les femmes peintres sont plus nombreuses au Salon que les femmes peintes », elle s’illustre en livrant deux portraits des musiciens Aristide Hignard, l’ami de Jules Verne et du violoniste espagnol Pablo de Sarasate. N’abandonnant pas totalement la scène de genre, Anaïs Beauvais se consacre cependant souvent à des figures féminines. En témoigne La Ciga, présentée au Salon de 1878, « une jeune brune que le vent d’automne surprend grelottante sur un banc de pierre en n’ayant pour tout habillement qu’une mandoline gisant à ses pieds » dont la critique dit que la composition manque de gaieté mais qui présente néanmoins des « qualités réelles de peinture ». Au salon de 1880, elle présente une œuvre d’une grande originalité : La Mort d’Albine (Laval, musée du Vieux-Château). Le sujet est emprunté à Émile Zola, qui publie en 1875 La Faute de l’abbé Mouret, roman qui s’achève sur le terrible suicide de la jeune Albine, sauvageonne du Paradou, dont l’abbé avait eu le malheur de s’éprendre, « dans le hoquet suprême des fleurs ».

C’est cette même année qu’elle peint le portrait de Jeanne Proust, la mère de Marcel. Représentée âgée de trente ans, la physionomie de Madame Adrien Proust évoque ces figures sévillanes vêtues de noir et sur fond noir de Velasquez mais aussi Jean-Jacques Henner. Son « atelier des Dames », créé avec Carolus-Duran avait en effet formé Anaïs Beauvais et nombre de ses consœurs peintres entre 1875 et 1889. L’initiative était originale : permettre aux dames n’ayant pas accès à l’enseignement de l’École des Beaux-Arts de se former à la peinture. A partir des années 1880, le style d’Anaïs Beauvais se ressent de l’influence des deux portraitistes de la Troisième République. Le portrait de Jeanne Proust avec cette expression à la fois austère et mystérieuse – le mystère féminin était au cœur de la réflexion picturale de Jean-Jacques Henner – en témoigne.

Devenue veuve en 1884, elle épouse en 1889 son propriétaire parisien, le peintre Charles Zacharie Landelle.

L’une de ses dernières œuvres, Le Liseur, qu’elle lègue au musée de Laval, présente la synthèse de ces influences accumulées au cours de sa carrière. La figure de l’intellectuel Darras, l’un des habitués de son Salon, y est présentée dans son intérieur que l’on devine presque déjà à la mode japonisante, à la lecture d’un ouvrage d’art, penché sur les gravures qui se développent dans l’édition pour amateurs. Tout de noir vêtu, jusqu’à la toque, concentré sur l’ouvrage, le visage subtilement modelé par des rehauts de blanc, il incarne cette société qui va d’Émile Zola à Marcel Proust et qu’Anaïs Beauvais se plut à immortaliser par la peinture.

Elle décède à 65 ans le 13 juin 1898, à son domicile parisien du quai Voltaire.

Anaïs Beauvais, Le lecteur
Le lecteur (Darras)
Anaïs Beauvais, Le pêcheur surpris par une sirène
Le pêcheur surpris par une sirène
1869
Musée de la faïencerie Frédéric Blandin , Nevers
Anaïs Beauvais, Mort d'Albine
Mort d'Albine
1880
Huile sur toile, 105,5 x 184,5 cm
Musée du vieux château, Laval
Anaïs Beauvais, Portret de Jeanne Weil
Portret de Jeanne Weil (mère de Marcel Proust)
1880
Huile sur toile, 78 x 65,5 cm
Musée de Marcel Proust