
La fille de Carlo Antonio Porporati  
Louise Elisabeth Vigée Lebrun - 1792
CHAPITRE X
Turin.— La reine de Sardaigne.— Madame, femme de Louis XVIII.— Je m'établis dans la ferme de Porporati.— Affreuses nouvelles de la France.— Les émigrés.— M. de Rivière vient me rejoindre.— Je vais à Milan.— La Cène de Léonard de Vinci.— La Madone del Monte.— Le lac Majeur.— Je pars pour Vienne.— M. et madame Bistri
Mon désir étant de rentrer en France, je gagnai Turin dans cette  intention. Mesdames de France, tantes de Louis XVI, quand je les avais  peintes à Rome, sachant que je devais repasser par Turin, avaient eu la  bonté de me donner des lettres pour madame Clothilde, leur nièce, reine  de Sardaigne. Elles lui mandaient qu'elles désiraient beaucoup avoir son  portrait fait par moi; en conséquence, dès que je fus établie je me  présentai chez Sa Majesté. Elle me reçut fort bien, mais quand elle eut  pris lecture des lettres de madame Adélaïde et de madame Victoire, elle  me dit qu'elle était bien fâchée de refuser ses tantes; mais, qu'ayant  renoncé entièrement au monde, elle ne se ferait pas peindre. Ce que je  voyais d'elle, en effet, me semblait parfaitement d'accord avec ses  paroles et sa résolution; cette princesse s'était fait couper les  cheveux; elle avait sur sa tête un petit bonnet qui, de même que toute  sa toilette, était le plus simple du monde. Sa maigreur me frappa  d'autant plus que je l'avais vue très jeune, avant son mariage, et  qu'alors son embonpoint était si prodigieux, qu'on l'appelait en France le gros Madame. Soit qu'une dévotion trop austère, soit que la   douleur  que lui faisaient éprouver les malheurs de sa famille, eût causé ce  changement, le fait est qu'elle n'était plus reconnaissable. Le roi vint  la rejoindre dans le salon où elle me recevait; ce prince était de même  si pâle, si maigre, que tous deux faisaient peine à voir.
                 J'allai aussitôt chez Madame, femme de Louis XVIII. Non seulement   elle  me reçut à merveille, mais elle arrangea pour moi des courses  pittoresques dans les environs de Turin, qu'elle me fit faire avec sa  dame de compagnie, madame de Gourbillon et le fils de cette dame. Ces  environs sont très beaux; mais notre début en fait d'excursion ne fut  pas très heureux. Nous nous mîmes en route par une chaleur extrême pour  aller voir une chartreuse, qui est située sur de hautes montagnes. Comme  à moitié chemin cette montagne est très rapide, nous fûmes obligés de la  gravir à pied, et je me souviens que nous passâmes devant une fontaine,  de l'eau la plus limpide, dont les gouttes brillaient comme des diamans,  que les paysans nous dirent avoir une grande vertu pour plusieurs  maladies.
      Après avoir grimpé si long-temps que nous en étions exténués, nous  arrivâmes enfin à la chartreuse, mourant de chaud et de faim. Le couvert  était déjà mis pour les religieux et pour les voyageurs, ce qui nous fit  une grande joie; car on peut juger que nous attendions le dîner avec  impatience. Comme il tardait à venir, nous pensions que l'on faisait de  l'extraordinaire pour nous, attendu que madame nous recommandait aux  religieux dans les lettres qu'elle nous avait données pour eux. Enfin on  servit d'abord un plat de grenouilles au blanc, que je pris pour une  fricassée de poulet; mais dès que j'en eus goûté, il me fût impossible  d'en manger, quelque faim que j'eusse. Puis on apporta trois autres  plats, frits et grillés, sur lesquels je comptais beaucoup; hélas! ce  n'était encore que des grenouilles, si bien que nous ne mangeâmes que du  pain sec, et ne bûmes que de l'eau, ces religieux ne buvant et ne  donnant jamais de vin. Mon plus grand désir alors aurait été d'obtenir  une omelette; mais il n'y avait point d'oeufs dans la maison.
      Au retour de ma visite à cette chartreuse, je vis Porporati, qui   voulut  encore que j'allasse loger chez lui. Il me proposa d'habiter la ferme  qu'il possédait à deux lieues de Turin, où il avait quelques chambres  très simples, mais commodes. J'acceptai cette offre avec joie, détestant  habiter la ville, et j'allai aussitôt m'établir avec ma fille et sa  gouvernante dans ce réduit, qui me charma. La ferme était située en  pleine campagne, entourée de prairies et de petites rivières bordées  d'arbres divers assez élevés, qui formaient de charmans bocages. Du  matin au soir j'allais me promener avec délice dans des lieux  enchanteurs et solitaires; mon enfant jouissait comme moi de cet air  pur, de cette vie douce et tranquille que nous menions; pour comble de  bonheur, je n'entendais d'autre bruit que celui d'un torrent qui était à  une demi-lieue de là, et que j'allai voir. C'était une énorme chute  d'eau qui tombait de roche en roche, et qu'entourait un bois de haute  futaie. Nous allions le dimanche à la messe par un chemin charmant; la petite église avait un porche très joli, et là nous étions comme en  plein air: entouré de cette belle nature, il semble que l'on prie mieux.  Le soir, mon spectacle favori était celui du soleil couchant, environné de ses beaux nuages dorés et couleur de feu, espèce de nuages que l'on  ne voit qu'en Italie. Ce moment était celui de mes méditations, de mes  châteaux en Espagne; je m'abandonnais alors à la douce pensée de revoir  bientôt la France, me berçant de l'espoir que la révolution devait enfin  se terminer. Hélas! ce fut dans cette situation si paisible, dans cet état d'esprit si heureux, que le coup le plus cruel vint me frapper. La charrette qui apportait les lettres étant arrivée un soir, le voiturier  m'en remit une de mon ami M. de Rivière (15), qui m'apprenait les affreux  événemens du 10 août, et me donnait des détails épouvantables. J'en fus  bouleversée; ce beau ciel, cette belle campagne, se couvrirent à mes  yeux d'un voile funèbre. Je me reprochai l'extrême quiétude, les douces  jouissances que je venais de goûter; dans l'angoisse que j'éprouvais  d'ailleurs, la solitude me devenait insupportable, et je pris le parti  de retourner aussitôt à Turin.
      En entrant dans la ville, que vois-je, mon Dieu? les rues, les places  encombrées d'hommes, de femmes de tout âge, qui se sauvaient des villes  de France, et venaient à Turin chercher un asile. Ils arrivaient par  milliers, et ce spectacle était déchirant. La plupart d'entre eux  n'emportaient ni paquets, ni argent, ni même de pain; car le temps leur  avait manqué pour songer à autre chose qu'à sauver leur vie. On m'a cité  depuis la duchesse de Villeroi, alors très âgée, que sa femme de  chambre, qui possédait une petite somme, venait de nourrir dans la route  à raison de dix sous par jour. Les enfans criaient la faim à faire  pitié; plusieurs femmes grosses, qui n'étaient jamais montées en  charrette, n'avaient pu supporter les cahots et accouchaient avant  terme. Enfin on ne saurait rien voir de plus déplorable. Le roi de  Sardaigne envoya des ordres pour qu'on logeât ces infortunés et qu'on  leur donnât à manger; mais il n'y avait point de place pour tous. Madame  fit aussi porter de nombreux secours; nous parcourûmes la ville,  accompagnés de son écuyer, cherchant des logemens et des vivres pour ces  malheureux, sans pouvoir en trouver autant qu'il en fallait. Je  n'oublierai jamais l'impression que me fit un ancien militaire décoré de  la croix de Saint-Louis, et qui pouvait avoir soixante-six ans. Il était  encore bel homme, de l'aspect le plus noble. Appuyé contre une borne  dans un coin de rue isolée, il ne demandait rien à personne: il serait  plutôt mort de faim, je crois, que de s'y décider, mais le malheur  profond empreint sur sa figure appelait l'intérêt dès la première vue.  Nous allâmes droit à lui, nous lui donnâmes le peu d'argent qui nous  restait, et l'infortuné nous remercia par des sanglots. Le lendemain il  fut logé dans le palais du roi, ainsi que plusieurs autres émigrés; car  il n'y avait plus de place dans la ville.
      On peut juger combien le cruel spectacle que je venais de voir  redoublait mes inquiétudes sur ce qui pouvait se passer à Paris. Il  m'était impossible de me calmer; je ne vivais pas; d'autant plus que je  ne voyais point arriver M. de Rivière, qui m'avait écrit de l'attendre à  Turin. Enfin l'instant qu'il avait fixé pour me rejoindre était dépassé  de quinze jours quand il arriva, si horriblement changé que j'avais  peine à le reconnaître. Ce qu'il venait de voir se passer sous ses yeux,  en effet, était bien capable d'affecter à la fois l'esprit et le corps  d'un homme; il me raconta qu'au moment où il traversait le pont de  Beauvoisin, on y massacrait tous les prêtres, avec une fureur dont il ne  saurait me donner une idée. Il avait été obligé de rester à Chambéry  pour se faire soigner d'une fièvre ardente, causée par les atrocités  dont il avait été témoin.
      Je n'osai qu'en tremblant demander des nouvelles de ma mère, de mon  frère, de M. Lebrun et de tous mes amis. Cependant M. de Rivière me  rassura un peu, en me disant que ma mère ne quittait plus Neuilly, que  M. Lebrun restait assez tranquille à Paris, et que mon frère et sa femme  étaient cachés. Quant à mes amis et à mes connaissances, le danger ne  les avait point encore atteints; mais beaucoup d'entre eux étaient  inquiétés.
      On imagine bien que je renonçai au projet d'aller à Paris. Je me   décidai  à rester à Turin, c'est-à-dire fort près de cette ville, pour être plus  à portée des nouvelles. En conséquence, je louai une petite maison (ce  qu'on appelle une vigne) sur le coteau de Montcarlier, qui domine le Pô.  M. de Rivière vint habiter avec moi cette solitude, où nous ne pouvions  rencontrer que de bons paysans, si pieux et si calmes, que ces braves  gens réjouissaient le coeur et consolaient l'esprit. Nous avions un   clos,  entouré de berceaux de vignes et de figuiers. Nous montions souvent la  forêt qui était au-dessus de mon habitation; plusieurs sentiers nous  menaient à de petites chapelles, situées de distance en distance sur la  hauteur du coteau, dans lesquelles nous allions les dimanches entendre  la messe. J'avoue que les églises champêtres m'ont toujours vue prier  avec plus de ferveur que les autres. Je me souviens que mon amie, madame  de Verdun, me grondait souvent de ne point me montrer assez assidue au  service divin. Certes, si je n'allais pas en France régulièrement à la  messe, ce n'est point par irréligion; mais dans les églises de Paris, où  il y a foule, je ne suis pas assez à Dieu. J'y vois des couleurs, des  draperies, une multitude d'expressions diverses de physionomies, des  effets de soleil; enfin, comme la peinture m'y poursuit, je ne puis  prier aussi bien que je le fais dans une église de village.
      Le séjour que M. de Rivière fit dans cette solitude remit peu à peu   sa  santé. Quant à moi, je repris ma palette. Je peignis une baigneuse,  d'après ma fille, et je vendis tout de suite ce tableau au prince  Ysoupoff, qui vint me trouver dans ma Thébaïde.
      Quand je fus résolue à retourner à Milan, ne sachant comment   reconnaître  les bons soins que Porporati avait pris de moi, j'imaginai de lui faire  le portrait de sa fille, qu'il adorait avec raison. Il en fut si  enchanté qu'il grava ce portrait aussitôt et m'en donna plusieurs  charmantes épreuves.
      À moitié chemin, sur la route de Milan, je fus arrêtée deux jours   comme  Française. J'écrivis tout de suite pour demander un permis de séjour,  que le comte de Wilsheck, ambassadeur d'Autriche à Milan, me fit  obtenir. J'allai l'en remercier dès que je fus installée, et je fus  reçue par lui avec autant de bonté que de distinction. Il m'engagea  beaucoup à me rendre à Vienne, m'assurant que ma présence y causerait  une grande satisfaction. Comme les nouvelles que nous recevions de  France m'obligeaient d'ajourner indéfiniment mon retour à Paris, je ne  tardai pas à me décider, ainsi qu'on le verra, à suivre ce conseil.
      Je fus reçue à Milan de la manière la plus flatteuse; le soir même de  mon arrivée, les jeunes gens des premières familles de la ville vinrent  me donner une sérénade sous mes fenêtres. Je me contentais d'écouter  avec grand plaisir, ne soupçonnant pas le moins du monde que je fusse  l'objet de cette galanterie italienne, quand mon hôtesse monta pour me  le dire, et m'assurer de l'extrême désir que l'on avait de me garder  dans la ville au moins pendant quelque temps. Afin de témoigner ma  reconnaissance d'un pareil accueil, je crus devoir m'établir pour  plusieurs jours à Milan, où d'ailleurs je désirais voir les tableaux des  grands maîtres, et beaucoup d'autres choses curieuses.
      Je visitai d'abord le réfectoire de l'église des Grazie, où se   trouve  la fameuse Cène, peinte sur mur par Léonard de Vinci. C'est un des  chefs-d'œuvre de l'école italienne; mais en admirant ce Christ, si noblement représenté, tous ces personnages, peints avec tant de vérité  et de caractère, je gémissais de voir un aussi superbe tableau altéré à  ce point; il a d'abord été couvert de plâtre, puis repeint dans  plusieurs parties. Toutefois on pouvait juger de ce qu'était cette belle  composition avant ces désastres, puisque, vue d'un peu loin, elle  produisait encore un effet admirable (16).
      Je m'empressai, comme on peut le croire, d'aller voir les cartons de  l'école d'Athènes, tracés par Raphaël, et je les contemplai long-temps  avec délices. Puis je trouvai aussi à la bibliothèque Ambroisine une  collection de dessins très précieux; car plusieurs sont de Raphaël, de  Léonard de Vinci et d'autres grands maîtres. Ces dessins ne sont point  terminés, mais tout y est indiqué avec autant d'esprit que de sentiment;  plus finis, ils auraient perdu de leur piquante originalité. On voit  dans cette bibliothèque Ambroisine une grande quantité de médailles  antiques, les plus intéressans manuscrits et des trésors en pierres  rares et en marbres précieux.
      Je fis différentes excursions aux environs de Milan, une entre autres   à  la montagne de la Madone del Monte, où l'on voit à gauche, sur la  hauteur, un temple; puis de distance en distance de petites chapelles  dans lesquelles se trouvent tous les sujets de la passion. Les figures,  grandes comme nature, sont sculptées. Elles ne sont pas d'un travail  très fin; mais elles ont une grande vérité d'expression; une Vierge  surtout, sculptée, plus grande que nature, qui est représentée seule et  montant au ciel, a beaucoup de majesté et une très belle pose.
      Je suis montée jusqu'au sommet de cette montagne, d'où l'on découvre   une  vue magnifique et si étendue, que les monts voisins paraissent des  vallons. Dans le lointain, à différentes distances, on aperçoit trois  lacs. Celui de Côme, le plus éloigné de tous, est entouré de montagnes  vaporeuses. Les deux autres, reflétant le ciel, étaient d'un bleu  d'azur. Les tons variés des vallons d'un vert tendre, et des montagnes  d'un vert foncé, font un repoussoir admirable pour le lointain. Sur le  haut de ce Calvaire se trouve une église, environnée de sites  enchanteurs, et d'une étendue immense; en descendant, je m'arrêtais  souvent pour contempler cette belle végétation, ces beaux arbres et ce  chemin pittoresque. En général, la nature de cette contrée est une des  plus riches de l'Italie, et les environs de Milan sont si ravissans, que  je ne cessais d'en faire des croquis.
      Quelques jours après j'allai au lac Majeur, dont la large étendue est  environnée de montagnes boisées, et au milieu duquel se trouvent deux  îles, l'isola Bella et l'isola Madre. J'ai habité la   première, en  ayant reçu la permission du prince Boromée, à qui elle appartient.  L'isola Bella n'a rien de pittoresque; elle est en partie entourée de  murailles garnies d'espaliers de pêches. L'autre île est, dit-on, plus  jolie; mais comme je m'embarquais dans l'intention de m'y rendre, le lac  était si furieux que je fus obligée de renoncera mon projet, et de  profiter d'un moment de calme pour regagner la terre, d'autant que l'on  m'assurait qu'il n'était pas rare de se trouver en danger sur ce lac.
      De retour à Milan, j'allai voir la cathédrale qui est fort belle, et  différentes curiosités que renferment les palais, qui sont bien loin  d'être aussi riches en tableaux que les palais de Parme, et surtout ceux  de Bologne.
      Les promenades, aux environs de la ville, se font en voiture; les   femmes  y sont extrêmement parées, ce qui me rappelait notre Longchamp et notre  ancien boulevard du Temple. En tout Milan me faisait bien souvent penser  à Paris, tant par son luxe que par sa population. La salle de spectacle (la Scala), où j'ai entendu d'excellente musique, est immense. Je ne  crois pas qu'il en existe de plus grande; sous ce rapport, celle de  Naples peut seule lui être comparée.
      Je suis allée à plusieurs beaux concerts; car Milan possède toujours  quelque fameux chanteur et quelques grandes cantatrices. Au dernier, je  me trouvais placée à côté d'une Polonaise très belle et très aimable,  nommée la comtesse Bistri. Comme nous nous étions mises à causer  ensemble, je lui parlai de mon prochain départ pour Vienne. Elle me dit  qu'elle et son mari allaient aussi se rendre dans cette ville, mais plus  tard. Cependant tous deux me témoignèrent un grand désir de faire route  avec moi, en sorte qu'ils eurent la bonté d'avancer l'époque de leur  voyage, et comme j'allais en voiturin, ils poussèrent l'obligeance jusqu'à ne pas prendre la poste, afin de ne jamais me quitter sur le  chemin.
      Il m'aurait été impossible de trouver des compagnons de voyage plus  aimables. Ils me comblaient de soins, et l'on peut dire que le mari et  la femme étaient d'une bonté rare, au point qu'ils emmenèrent avec eux  un pauvre vieux prêtre émigré, et un autre jeune prêtre, qu'ils avaient  trouvés en route, et qui venaient d'échapper au massacre de Pont de  Beauvoisin. Quoique madame Bistri n'eût pour voiture qu'une diligence à  deux places, ils mirent le vieillard entre eux deux, et le jeune homme  derrière la voiture. Ils soignèrent ces deux infortunés, dont ils  étaient les anges tutélaires, comme des amis, comme des parens les plus  proches. Je fus tellement édifiée de leur conduite envers ces deux  malheureux, que je ne puis exprimer à quel point elle m'attacha à cet  excellent ménage, que j'ai vu constamment à Vienne.
      En faisant route pour la capitale de l'Autriche, nous traversâmes une  partie du Tyrol. Ce chemin est grandiose et pittoresque. On y voit des  rochers d'une majesté imposante, embellis par la plus active végétation,  et par des chutes d'eau, brillantes comme du cristal, qui vont alimenter  des torrens. Nous parcourûmes aussi une partie de la Styrie; à mi-côte  de ses montagnes, on aperçoit çà et là des habitations champêtres et  quelques châteaux, qui sont du plus charmant effet. En tout, le chemin  occupa mes yeux agréablement, depuis Milan jusqu'à Vienne.
(15) Frère de ma belle-soeur.
(16) Depuis j'ai su que ce chef-d'œuvre avait été bien autrement dégradé. On m'a dit que, pendant les dernières guerres de Bonaparte en Italie, les soldats s'amusaient à tirer des coups de fusils à balles dans la Cène de Léonard de Vinci! Maudits soient ces barbares!
Extrait du livre :
              Souvenirs de Madame Louise-Elisabeth Vigée Lebrun
              Édition : Librairie de H. Fournier - Paris 1835